Les "filles Distilbène", ces femmes exposées in utero au Distilbène et atteintes depuis d'un cancer, ont remporté jeudi une victoire en cassation face aux laboratoires, à qui il reviendra désormais de prouver que leur produit n'était pas en cause.
Restera toutefois aux victimes à démontrer le lien de causalité entre leur pathologie et la prise de Distilbène par leur mère durant leur grossesse. Elles pourront ensuite poursuivre indifféremment Novartis ou UCB Pharma, les deux laboratoires ayant commercialisé ce médicament, et leur réclamer une indemnisation.
Si devant le tribunal, ni Novartis, ni UCB Pharma ne parvenait à se dédouaner, ils devraient se partager l'indemnisation.
Par un tel arrêt, la Cour de cassation a inversé la charge de la preuve. Il reviendra désormais aux laboratoires de prouver que les victimes n'ont pas pris leur médicament, mais celui du concurrent, une tâche pour le moins ardue.
"C'est une victoire", "un pas en avant" pour les filles Distilbène, a témoigné l'avocate de l'une d'elles, Claire Waquet. "A partir du moment où les jeunes femmes ont la preuve que leur mère a été exposée à la molécule, c'est au laboratoire de démontrer que ce n'était pas son produit", en disant par exemple "je n'ai pas approvisionné telle pharmacie à telle période".
Le DES ou diéthylstilbestrol est une hormone de synthèse prescrite sous la marque Distilbène aux femmes enceintes en France entre 1950 et 1977 pour prévenir les fausses couches, les risques de prématurité et traiter les hémorragies de la grossesse.
Sa nocivité a été clairement établie chez les enfants exposés in utero, en particulier chez les filles, atteintes pour certaines de cancers du vagin et du col de l'utérus. Au moins 160.000 enfants auraient été exposés au produit.
Atteinte d'un cancer de l'utérus, Marie-Elise avait assigné en justice les laboratoires UCB Pharma et Novartis, afin de se voir allouer des dommages et intérêts, pour elle et sa famille.
Mais la cour d'appel de Versailles l'avait déboutée en avril 2008, car si elle avait pu démontrer que son cancer était liée au DES, grâce à une expertise médicale, elle n'avait pu démontrer si le pharmacien lui avait délivré du Distilbène commercialisé par Novartis ou UCB Pharma.
Elle s'était alors pourvu en cassation.
Jeudi, la juridiction suprême a annulé cette décision, considérant qu'il revenait non pas à la victime, mais aux laboratoires "de prouver que leur produit n'était pas à l'origine du dommage".
"C'est une réaction de joie. Cette décision ouvre enfin une possibilité aux jeunes femmes souffrant d'un cancer de se retourner contre les laboratoires. Elles étaient des dizaines à l'attendre. Ce sera désormais aux laboratoires d'apporter la preuve qu'ils ne sont pas responsables des maladies", s'est réjouie la présidente du réseau DES France, Anne Levadou.
Du côté des laboratoires, on encaissait. "Nous avons toujours assumé nos responsabilités et nous les assumerons demain", a réagi le directeur général d'UCB Pharma France, Mohamed Chaoui.
"Nous continuerons à assumer notre responsabilité chaque fois qu?un lien de causalité est établi entre la prise de DES commercialisé" par Novartis et "toute forme de préjudice physique ou moral de la plaignante", a appuyé Novartis.
Si les filles Distilbène ont gagné cette manche, il leur reste un combat de taille: celui de l'ordonnance. En effet, les tribunaux les déboutent souvent, sous prétexte que, plus de quarante ans après, elles n'ont pu produire le document prescrivant le médicament à leur mère.
Selon elles, les laboratoires cherchent à imposer ce seul mode de preuve, plutôt qu'une expertise médicale par exemple, afin d'échapper à leurs responsabilités.